Quel délai pour le commandement visant la clause résolutoire d’un bail d’habitation ?

Confronté à un impayé de loyer, le bailleur peut mettre en œuvre la sanction contractuelle de la résolution prévue par le contrat de bail en faisant délivrer par commissaire de justice un commandement de payer visant la clause résolutoire.

A l’expiration du délai fixé par le commandement, lorsque l’impayé persiste, il peut saisir le juge des référés d’une demande de constat de la résolution. Ledit juge, qui statue suivant une procédure rapide, n’a pas de pouvoir d’appréciation : il est tenu de constater la résolution et le locataire a pour seul recours non pas d’empêcher la résolution mais de demander reconventionnellement la suspension de ses effets s’il arrive à obtenir un plan d’apurement de la dette qu’il devra scrupuleusement respecter sous peine de voir réactiver de plein droit la résolution.

Depuis la loi du 6 juillet 1989, le délai visé par le commandement de payer visant la clause résolutoire était de deux mois.

La loi du 27 juillet 2023 a modifié ce délai en le diminuant à six semaines.

En outre, auparavant, le contrat de bail devait prévoir expressément une telle clause résolutoire, ce qui était devenu une clause de style de tout bail d’habitation. A défaut d’une telle clause et a fortiori, en cas de bail verbal ou de perte du bail écrit, le bailleur était privé d’une telle procédure de sanction contractuelle et était contraint d’engager une procédure au fond en résolution judiciaire du bail, procédure plus longue et soumise au pouvoir d’appréciation du juge.

La loi du 27 juillet 2023 est venue modifier cette situation en disposant que : « Tout contrat de bail d'habitation contient une clause prévoyant la résiliation de plein droit du contrat de location pour défaut de paiement du loyer ou des charges aux termes convenus ou pour non-versement du dépôt de garantie ».

Cependant, il subsistait une interrogation sur l’application dans le temps de ces modifications.

En effet, si la loi entre en vigueur dès sa publication (art. 1er du code civil), il est constant qu’en matière contractuelle, le contrat demeure soumis à la loi en vigueur lors de sa conclusion, sauf rétroactivité expressément prévue par la loi (Com., 16 février 2022, n° 20-20.429).

Le bail d’habitation étant bien un contrat et la loi du 27 juillet 2023 ne prévoyant aucune disposition transitoire sur son application dans le temps, l’application des principes généraux relatifs à l’entrée en vigueur des lois devait amener à conclure à une application uniquement pour les contrats conclus ou renouvelés postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 27 juillet 2023.

Toutefois, la Cour de cassation, soucieuse dans certaine situation, de rattraper l’oubli du législateur quant à une application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours, a développé une solution portant sur les effets légaux du contrat qui sont régis, selon elle, par la loi nouvelle (Civ. 3e, 18 février 2009, n° 08-13.143).

La notion d’effet légal d’un contrat demeure particulièrement souple ce qui a créé une situation d’incertitude pour les bailleurs confrontés à l’impayé de leur locataire : Doivent-ils respecter scrupuleusement leur contrat de bail qui stipule un délai de deux mois ou doivent-ils appliquer le nouveau délai de six semaines ?

La Cour de cassation vient de rendre un avis de nature à lever une partie des incertitudes : « les dispositions de l'article 10 de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023, en ce qu'elles modifient le délai minimal imparti au locataire pour s'acquitter de sa dette après la délivrance d'un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au bail prévu par l'article 24, alinéa 1er et 1°, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, n'ont pas pour effet de modifier les délais figurant dans les clauses contractuelles des baux en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi » (C. Cass., Avis, 13 juin 2024, n° 24-70.002).

Le délai de six semaines n’aura donc à s’appliquer que pour les baux conclus ou renouvelés postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 27 juillet 2023.

Il demeure toutefois deux interrogations.

D’une part, s’agissant des baux sans clause résolutoire, notamment des baux verbaux ou ceux dont l’écrit a été égaré, la nouvelle solution prévoyant une clause résolutoire réputée présente est-elle d’application immédiate ?

Des arguments militent en ce sens. Le délai visé par le commandement est un délai qui était nécessairement prévu par le contrat puisque dans le régime antérieur, la clause résolutoire était nécessairement expresse. Il s’agissait donc plus d’un effet pur du contrat réglementé par la loi seulement s’agissant du quantum minimum du délai. La loi nouvelle ne vient pas bouleverser les prévisions des parties mais seulement limiter leur pouvoir décisionnel lors de la conclusion du contrat en leur imposant un délai à stipuler.

En revanche, l’insertion présumée d’une clause dans un bail qui n’en comporte pas, ne vient pas régir une situation expressément stipulée par le contrat mais imposer aux parties une clause qu’elles n’ont pas voulue. A l’inverse de la question du délai, la volonté des parties est inexistante et le mécanisme de l’insertion automatique est ainsi susceptible de relever d’un effet légal du contrat.

D’autre part, lorsque par mégarde, le bailleur aura stipulé dans son bail postérieur à l’entrée en vigueur de la loi du 27 juillet 2023 une clause résolutoire visant un délai de deux mois, ce délai s’imposera-t-il ? Un tel délai offrant une situation plus favorable pour le locataire qui est la partie faible que les dispositions d’ordre public de la loi du 6 juillet 1989 tendent à protéger, il n’y a, à notre sens, pas de raison de lui faire perdre le bénéfice de cette situation plus favorable contractuellement souhaitée par les parties. Le principe demeure la liberté contractuelle. L’on pourrait toutefois nous objecter justement que la loi du 27 juillet 2023 tend à mettre en œuvre un ordre public de protection du propriétaire plus que du locataire.

Espérons que la Cour de cassation dissipera rapidement ces incertitudes tant ces questions sont susceptibles de se poser dans de nombreux litiges.

Hugo Plyer